Angoisse et anxiété générés par la perte de sens

Face à la montée des inquiétudes climatiques et aux  violences dont nous sommes de plus en plus témoins, dans un contexte de société individualiste, et avec la perte des idéologies qui l’accompagne, je constate que la perte du sens de la vie – de notre vie – génère de plus en plus d’angoisse pour chacun de nous.

Le sens c’est savoir vers quel cap on va, et c’est apporter une cohérence à nos actes, à notre vie, en sachant pourquoi on tient ce cap (but et valeurs).

On peut aussi s’en tenir au « sens de la vie », parfois dit « cosmique ». Il suppose un dessein extérieur au sujet, un ordre magique ou spirituel. Souvent il permet de trouver un sens à sa vie. Plusieurs lectures du divin sont alors possibles.

Ici je souhaite plutôt traiter du 1er évoqué, dit parfois « terrestre », où il s’agit d’élaborer un sens à sa vie sans recourir à un phare extérieur.

Face à l'absurde, une donnée existentielle

Comment un individu qui a besoin de sens en trouve-t-il dans un univers qui en est dépourvu ? 

ou le sens pour diminuer l’angoisse liée au monde qui en est dépourvu…

Jean Paul Sartre nous dit : « toute l’existence prend naissance sans raison, se poursuit par faiblesse et meurt par hasard ». Cela peut créer une angoisse existentielle.

Cette angoisse peut être compensée par un contexte tranquille, croissant, apportant du plaisir. Dans un tel contexte on ne pense plus tant à la question du sens de notre vie. On peut aussi y trouver des compensations qui nous permettent là encore de ne plus affronter cette question.

Pour Sartre, c’est l’engagement qui permet d’accomplir notre vie :

Renoncer aux idéaux de confort et de sécurité pour s’engager. Liberté. Etre l’artisan du sens de sa vie. Se confronter à son désespoir pour accéder à sa liberté. « la vie humaine commence de l’autre côté du désespoir ». Accepter la responsabilité d’avoir à trouver le sens de sa vie et s’engager dans l’accomplissement de ce sens. Il est positif et juste de s’immerger dans le courant de la vie.

Pour Albert Camus l’absurde de la condition humaine est cette tension entre l’aspiration humaine (de sens) et l’indifférence du monde. S’il n’existe aucun absolu, aucun vrai ou faux, rien ne prime et tout est matière à indifférence.

La façon de nier l’absurde, pour pouvoir le vivre, est de chercher un sens (valeurs et lignes de conduite) :

 L’indifférence du monde peut alors être transcendée par la rébellion contre sa condition humaine et aussi en y faisant face (forme d’acceptation). « Il n’est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris ». Il s’agit de participer à l’aventure humaine en se fondant sur des valeurs et des lignes de conduite.

Quelques exemples

Contribuer à quelque chose qui nous dépasse (dévouement à une cause…), transcendance de soi dans un tout plus grand

La créativité, dans toute part de la vie

L’hédonisme, recherche du plaisir

L’actualisation de soi, accomplissement de son potentiel inné, croissance et unification de soi. Ce qui donne un « sentiment solide de soi », d’exister.

Les raisons de vivre

raison de vivre

Pour Viktor Frankl, le paradigme est que l’homme est en quête, il a – ou se cherche –  une raison de vivre, c’est sa motivation principale.

Il pourrait y avoir 3 étapes : dans l’enfance une motivation liée au principe de plaisir (Freud), à l’adolescence une motivation liée à la volonté de puissance (Adler) et à l’âge adulte à la volonté de sens.

La pulsion pousse l’individu de l’intérieur. Le sens le tire de l’extérieur (aspiration). Il y a donc transcendance, orientation vers l’avenir, et une liberté d’accepter ou pas ce qui nous appelle.

Pour lui 3 catégories de raisons de vivre (3 systèmes de significations) :

Créatif : ce qu’on accomplit, crée, ce qu’on donne au monde

Expérientiel : ce qu’on prend au monde en expériences et rencontres – notamment ce que l’individu retire de la beauté, de la vérité, de l’amour. Comme une impression que la vie vaut la peine…

Attitudinal : comment on se comporte envers la souffrance, un destin qu’on ne peut changer. La force de survivre.

Pour élargir :

La quête de sens est « brouillée » par d’autres enjeux : face à la mort, quel sens a ce sens ? comme tout doit s’achever… derrière l’angoisse de sens il y a aussi celle de la responsabilité, de la solitude… (par exemple faire partie d’un groupe pour fuir l’isolement confondu avec la solitude…)

Cette quête est aussi intrinsèquement liée à la culture dans laquelle baigne la personne. Dans notre société occidentale il y a le mythe que la vie sans finalités est un fait tragique. Ailleurs (Inde) l’existence n’a pas de but, la vie est un mystère à vivre. Elle est pur voyage. Pourquoi se soucier de la destination ?

La Gestalt-thérapie sur la donnée existentielle du sens :

Le Gestalt-thérapeute cherche dans les événements aléatoires et anxiogènes de son patient une gestalt* signifiante pour lui. Cela correspond à trouver et relever ce qui est unique dans l’expérience de la personne.

 

Se soustraire à la quête de sens, aux questions qu’elle nous pose, c’est prendre le risque de passer à côté de sa vie.  Quelle que soit la réponse à nos questions, c’est le questionnement qui importe. Le sens s’accompagne de valeurs (principes guidant, cadre pour l’action, aussi permet d’exister en soi, dans un groupe). La thérapie vise à trouver en soi les soutiens pour rester debout, centré, dans les périodes où le sens est perdu.

Quelques manifestations cliniques :

Sensation de vide existentiel : ennui, apathie. Dans sa forme végétative : degré ultime de l’absence de but. Ne croire en rien, être indifférent. « A quoi bon… »

Nihilisme : tout discréditer, énergie et comportement découlent lors du désespoir.

« Névrose » existentielle : ce sont les  symptômes qui se mettent sur ce vide. Ils manifestent une volonté de sens contrecarrée.  Repérable dans les schémas comportementaux.

Croisade : se dévouer à une cause spectaculaire, importante, quelque qu’elle soit. Investissement compulsif dans des activités : la personne s’investit à fond, sans que ses activités aient une justesse (faux centrage).

* en Gestalt-psychologie le fonctionnement humain est analysé comme suit :  l’homme élabore des formes (un sens) à partir de ses perceptions : un sens émerge des stimuli de l’environnement. Quand ce n’est pas le cas, il y a inconfort (de l’agacement à l’angoisse…), et vulnérabilité. Le sens quend il est trouvé confère un sentiment de maîtrise, quel qu’il soit, car savoir est mieux qu’être dans l’ignorance / l’inconnu.

gestalt thérapie du sens